Costumes, Us et Coutumes - Novembre 2020

crop over

En cette période où en Suisse le débat sur la tenue vestimentaire des filles à l’école fait rage, je me remémore en souriant mes premiers temps à la Barbade : pas de question à me poser pour ma tenue vestimentaire. Une petit robe de plage et des sandales font l’affaire partout. Vive la liberté ! J’étais loin d’imaginer que, comme pour les bus, la coiffure ou le carnaval, un « guide pratique » était nécessaire pour maîtriser un code vestimentaire strict que, dans ma naïveté, je pensais inexistant.

Barbade 2016. J’explore l’île à pied, du Sud au Nord. Mon modus operandi est bien rodé : dès le matin j’enfile ma petite robe à bretelles par dessus mon maillot de bain, je mets mes tongs dans mon sac de plage et me voilà partie pour des kilomètres. Sur la plage, paréo, maillot et pieds nus dans le sable fin jamais brûlant ; Sur la route, petite robe et sandales à nouveau.
Et dans les restaurants et les bars, pas besoin de sortir la tenue du soir : ma petite robe de plage ne semble gêner personne.

J’avais eu droit à un conseil, un seul et retenu le principe - élémentaire : « Gardez vos tenues de plage pour la plage ». Autrement dit, il est interdit de se promener dans la rue en paréo pour ces dames ou en maillot de bain-short pour ces messieurs. Ce n’est pas une bien grosse contrainte, je m’y plie sans problème et probablement, sans trop en prendre la mesure. Ah ! J’oubliais ! Surtout pas de treillis ! Ils sont tout simplement interdits. Pas de quoi me frustrer.

Le fait est que, dans la rue, je suis fascinée par la liberté vestimentaire. Pas de jugement, pas de regard réprobateur. Personne ne semble se préoccuper de la longueur d’une robe ou de la profondeur d’un décolleté. Les rondeurs ont le droit de s’exhiber aussi bien en mini-jupe qu’en legging moulant.

Encore plus frappant au Reggae Festival, qui est en même temps un festival de tenues affriolantes savamment étudiées… Pantalons hyper moulants, robes sexy… Je comprends à présent la réaction de la vendeuse quand j’avais voulu acheter une jupe « sympa » pour l’occasion : « Ah non, ça c’est plutôt une tenue de travail ». Et pourquoi?

Et que dire des fêtes de Crop Over1 ? Des mousselines transparentes mettent en relief lingerie et broderies. Les corps sont peu couverts, le Wukkup2 bat son plein. En Europe on aurait crié à l’indécence ; au Moyen-Orient à la provocation. Mais pour les Bajans3 les tenues “indécentes” ne sont pas considérées porteuses d’un message quelconque. Et gare à celui qui les prendrait pour un permis de harceler ou de toucher !

Mais où sont donc passés les fameux tams4 qui recouvrent au quotidien les longs cheveux des Rastas5 ? Interdits dans certaines fêtes me dit-on. Il est donc permis de danser presque nu mais pas de se couvrir la tête ? D’accord, Je prends note. Quoi qu’il en soit, j’en reste convaincue, « C’est cool la Barbade » !

Le lendemain, je me rends dans une administration publique. Là, surprise ! On ne me laisse pas rentrer car je ne suis pas habillée « comme il faut ». Qu’est-ce qu’elle a ma petite robe ? Elle est bien plus décente que toutes ces tenues aperçues dans la rue ! «Oui mais ici vous êtes dans une administration publique» me rappelle-t-on. « Il faut se couvrir les bras et les jambes ». Je n’en reviens pas ! Pour peu, on invoquerait Tartuffe : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » ! Pour les hommes, chevelures rastas et coiffures afro sont priées d’être bien rangées ou de se faire discrètes sous un tam. Ce même tam qui est interdit dans les fêtes mais aussi dans les tribunaux et les institutions judiciaires où les shorts sont également bannis. A n'y rien comprendre !

C’est donc plus subtil que je ne le crois. Je commence à être plus attentive à la tenue des locaux.

Dans un mini-bus (les fameux ZR6), serrée entre des élèves en uniforme d’école impeccablement repassé, je suis soulagée d’avoir pris le temps de me sécher au soleil avant de remettre ma robe. Et parmi les passagers entassés dans les bus publics, ceux qui se rendent au travail ou à l’université sont vite reconnaissables à leur tenue sobre et soignée. Ce n’est donc pas si cool que ça, la Barbade…

C’est finalement Liz, mon amie Bajan qui m’ouvre les yeux : « Les touristes prennent toute l’île pour une plage. Nous avons notre vie sur l’île avec ses différents lieux et moments, et nous nous habillons en conséquence. Ce n’est pas une question de décence, mais de circonstances ».

Autrement dit, pas de simples tartufferies, mais des us et coutumes dont le propos serait : « Cachez ce sein et ces cheveux que je ne saurais voir en ce lieu ». Peut-être pourrions-nous nous en inspirer en Suisse pour calmer le débat…

 

 

1): Festivités marquant la fin de la récolte de la canne à sucre

2)    Wukkup : Danse des Caraïbes très suggestive

3)    Bajan : Adjectif ou substantif désignant l'appartenance à la Barbade

4)   Tams : Bonnets pour dreadlocks

5)   Rasta : Adepte du Rastafarisme, mouvement social, culturel et spirituel qui s'est    développé à partir de la Jamaïque dans les années 1930.
6)   ZR :

 

Jihane Sfeir
24 novembre 2020