
Après une journée riche en surprises à Miami Beach - une des plages les plus populaires de la Barbade - je rentre chez moi en bus. Quel sera le scénario du jour ? A demi-assise sur les genoux du voisin dans un mini-bus qui s’envole au son d’une musique tonitruante ? Ou accrochée aux barres du plafond d’un grand bus bleu qui me ballotte de droite à gauche ? Vous voilà prévenus: prendre le bus à la Barbade c’est toute une aventure !
Pourtant d’après les Bajans*, tout ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a 3 sortes de bus:
- Les grands bus bleus publics : en théorie réguliers mais en réalité peu fréquents, ils couvrent toute l’île jusque dans ses coins les plus improbables. La musique y est interdite. De toutes façons, elle serait couverte par les rugissements du bolide. Ces bus ne s’arrêtent qu’aux arrêts officiels. On s’y entasse assis ou debout comme on peut.
- Les mini-bus blancs, privés, appelés “ ZR ” comme l’identifiant de leur plaque, mais aussi « Reggae bus ». Si seulement ce n’était que du Reggae… Oreilles sensibles s’abstenir. Leurs chauffeurs n’obéissent à aucune loi et s’arrêtent où bon leur semble. Places assises uniquement. Ou plutôt, demi-places.
- Enfin, les bus jaunes, semi-privés, aux couleurs souvent psychédéliques, qui sont un mélange des deux précédents. Taille moyenne, demi-places assises ou debout, musique à fond.
« Evite les mini-bus blancs, m’avait-on dit, ils conduisent comme des fous ». Tu parles ! Blancs, bleus ou jaunes, c’est de toutes façons les montagnes russes !
On m’avait également assuré qu’il y avait des terminus d’embarquement très bien organisés et même des horaires pour les bus bleus. Comme en Suisse quoi. Superbe ! En bonne Suissesse, je me renseigne méthodiquement.
« Où trouve-t-on un plan des bus? » « Un plan? Pourquoi faire? Il suffit de te renseigner auprès des passagers, sinon au terminus ».
Les terminus, parlons-en. Il y en a 3 à Bridgetown, non reliés entre eux par un bus quelconque, à une distance de près de 20 minutes à pied entre le premier et le troisième. Que d’allers-retours ai-je fait entre l’un et l’autre avant de comprendre quel bus partait de quel terminus !
Et les horaires ? La Suissesse en moi persiste et signe : « A quelle heure passe le bus ? » Partout, à chaque arrêt, la réponse était invariablement la même: « A l’heure et à la demi-heure ». A tous les arrêts? Pour toutes les directions? Comment est-ce possible?
Je finis pas comprendre : le bus quitte son terminus à l’heure ou à la demi-heure. A partir de là, à moi de faire les calculs : de quel terminus part ce bus, à quelle distance du terminus je me trouve et quelle est la densité du trafic à cette heure de la journée. Toute une science !
Toutefois, d’autres variables rentrent en jeu :
- Les bus bleus sont souvent «en situation difficile » (? ). Il se peut donc qu’ils «sautent» une heure de départ. Il suffira d’attendre l’heure suivante. Bonne leçon de patience.
- Le chauffeur d’un bus jaune peut décider de faire 3 fois le tour du rond-point pour laisser le temps à un passager d’arriver.
- Quant aux chauffeurs des mini-bus blancs, ils peuvent changer d'itinéraire pour déposer une vieille dame près de chez elle ou passer prendre un copain.
Ponctualité et humanité ne riment pas toujours. D’ailleurs, j’ai arrêté de courir pour rattraper un bus blanc ou jaune : je sais qu’il m’attendra…
Une fois la théorie acquise, il ne me restait plus qu’à la mettre en pratique. Et là, il a suffi de quelques trajets pour que je perde toutes mes croyances, au profit d’autres :
- Oui, un bus c'est élastique ;
- Oui, être contorsionniste, musclée et équilibriste sont des conditions sine qua none pour prendre le bus ;
- Oui, je suis sans aucun doute une sardine ;
- Non, les sardines ça ne pue pas, même entassées en pleine chaleur dans une boîte métallique ;
- Non, les ceintures de sécurité ce n'est pas indispensable ;
- Non, un tympan ça ne se crève pas facilement ;
- Oui, c’est possible d’être coincée entre le torse d’un mec et le genou d’un autre sans qu’une main baladeuse ne profite de la situation ;
- Oui, le Bon Dieu existe et il s'est donné pour mission d'éviter les accidents de bus à la Barbade.
Mais un trajet en bus ce n’est pas toujours une épreuve. C’est aussi une occasion de plus d’observer des scènes de vie à la fois drôles et touchantes de simplicité et d’entraide, comme partout ailleurs à la Barbade. A découvrir au prochain numéro…
*Note: « Bajan » (prononcer Beydjan): substantif et adjectif dérivé de « Barbadian ». Indique l’appartenance à la Barbade.
Jihane Sfeir
15 juin 2020