
« Confinée au bord de la mer des Caraïbes… ». Puis-je même envisager de poster une phrase aussi indécente, pour ne pas dire choquante ? Oui, puisque cette déclaration est l’aboutissement d’une réflexion similaire à celle imposée à une grand partie de la population du monde par le « corona-confinement ». Qui ne se pose pas des questions aujourd’hui sur son mode de vie avant et après le coronavirus ? Qui ne se demande pas comment faire pour que le changement qui fait rêver se concrétise ?
Ces questions, je me les suis posées bien avant la crise du coronavirus. En 2016, plus précisément. Une période où tout allait bien. Succès professionnel incontestable, beaux voyages, vie facile et agréable à Genève, entourée de mes innombrables amis dans ma Suisse d’adoption et par mes proches dans mon pays natal le Liban.
Janvier 2016
2 semaines de vacances tranquilles à la Barbade : la mer des Caraïbes m’ensorcèle. Que ce soit son bleu-carte-postale, ses vagues tranquilles, ses plages de sable fin et blanc qui ne brûle pas les pieds, ses reflets peints par la palette de couleurs du soleil couchant ou le rhum punch au crépuscule au son de la musique Reggae. Un bien-être physique que je n’avais jamais connu aussi intensément. Dû, tout simplement, à l’environnement dans lequel j’évoluais. Peu à peu, à mon insu, un refrain m’envahit : je veux que ce bien-être perdure au-delà des vacances.
A mon retour en Suisse, je ne suis plus la même. Batteries rechargées, mais aussi, de petites questions sournoises s’installent :
• Ma vie actuelle est-elle celle que je souhaite mener pendant les années à venir ?
• La voie sur laquelle j’avance et qui a été construite par mes choix et objectifs de vie de mes 20 ans me convient-elle encore ?
• La locomotive qui me tire le long de cette voie va-t-elle jamais s’arrêter pour me laisser souffler et m’assurer que je suis dans le bon train ?
• Et même, une vie différente ne serait-elle pas possible ? Sans jeter la mienne que j’aime, ni larguer les amarres ?
Ralentir, faire une pause, m’écouter, redéfinir « le sens » de ma route et pourquoi pas, réinventer ma vie… Une obsession qui me ronge pendant 8 mois.
Une fois ces questionnements exprimés à voix haute, ils sont vite démontés par la voix de la raison : «Tu es folle, tu veux tout larguer, comme si c’était possible de commencer une autre vie à 50 ans, tu vas tout perdre, tu fuis quoi ? etc. »
Mais un mot m’obsède inlassablement, couvrant toutes ces objections: « Oser - Oser - Oser ».
Je décide alors d’avancer. Avec l’appui de mon amie coach, j’ai la confirmation qu’il ne s’agit pas d’un désir de fuite, mais bel et bien d’une envie de renouveau. Et tout se met en place peu à peu. Un alignement des étoiles pour donner un nouveau « sens » à ma vie, une nouvelle direction : la rencontre à Genève avec Cecilia qui connaît bien la Barbade et m’encourage à réaliser mon rêve ; grâce à elle, un appartement à louer sans même faire des recherches, dans mon budget, près de «ma plage». Trop facile. Plus d’excuses pour ne pas oser.
Janvier 2017
Je me lance. Location pour six mois. Ou plus si affinités. Avec des allers-retours sur Genève, pour continuer à travailler, pour garder le lien avec ma vie. Je fais alors mes premiers pas hésitants dans ma nouvelle vie. Et je me retrouve à vivre ce pour quoi je m’étais « excentrée ». Je me redécouvre sous le regard des autres sans les étiquettes qui me définissaient jusque-là. Seule avec moi-même, je prends le temps de m’écouter pour savoir dans quelle direction je veux avancer. Confrontée à une culture différente de la mienne, j’apprends à oublier mes préjugés pour poser sur le monde un regard nouveau. En un mot, je réinvente ma vie sans même avoir pris de risques, à part celui de me retrouver face à moi-même.
Janvier 2020
3 ans que ça dure. 20 allers-retours entre Genève et la Barbade. De l’enthousiasme et du plaisir.
Par-dessus tout:
• Une sensation d’exister vraiment, pleinement, de vibrer avec tout ce qui m’entoure.
• Une fierté grisante d’avoir «osé», et dont je prends conscience tous les matins lorsque je me baigne dans le bleu de la mer des Caraïbes qui est souvent « pour moi toute seule » !
• Un bien-être profond qui m’accompagne jusque dans ma vie à Genève.
• Et surtout, concrètement, le lancement de mon site Internet Ocean Inspiration.ch, un espace qui me permet de créer des projets visant à favoriser la rencontre avec une culture différente pour se redécouvrir soi-même. Un projet à l’image de ma nouvelle vie, qui se concrétise avec le cours English in the Caribbean for intepreters en 2019 et 2020 sans oublier le séminaire The "Caribbeanist" Experience à Genève entre les deux. Des expériences culturelle et humaines inoubliables !
Aujourd’hui, le coronavirus, pas bête, a décidé de faire escale dans les Caraïbes.
La raison voudrait que je rentre chez moi en Suisse. Et là, une évidence s’impose : à la Barbade aussi je suis chez moi. Et je préfère être confinée au soleil sur mon balcon face aux cocotiers plutôt qu’entre quatre murs à Genève.
Me voici donc «bloquée» à la Barbade où je partage en toute sérénité le destin de mes amis à présent nombreux ici.
Et bientôt je l’espère, je rentrerai en Suisse partager avec mes amis le déconfinement.
Finalement, j’ai vraiment gagné mon pari d’une nouvelle vie qui enrichit la mienne sans l’effacer !
Parce qu’un jour j’ai « osé » et que je me suis laissé porter par mon enthousiasme.
Trouver de l’enthousiasme en pleine crise du Coronavirus ? Difficile à première vue. Mais ce temps mort qui s’impose à nous est peut-être l’occasion d’écouter cette petite voix qui nous dit « Après tout, pourquoi pas ? », qui nous murmure à l’oreille: « Autre chose est peut-être possible, sans larguer les amarres, sans tout jeter à l’eau, sans faire de mal à nos proches ».
Jihane Sfeir
20 avril 2020