
Le tennis vous semble-t-il un sport inaccessible, faute de moyens ou d’accès à un club ? Alors quoi de plus simple que de tracer sur une surface plane au bord d’une route un rectangle jaune de 6x3 mètres avec, au milieu, une planche en bois d’environ 20 cm de haut servant de filet ? Ensuite, fabriquez des raquettes en bois d’une taille moyenne et dénuez une balle de tennis de son enveloppe en feutre. C’est parti ! Il ne vous reste plus qu’à travailler votre souplesse et vos genoux pour taper dans la balle et disputer un véritable match qui combine les règles du tennis et du ping-pong.
Telle est l’origine du Road tennis né dans la rue à la Barbade vers 1930 à l’époque où le tennis et le cricket importés par les colons britanniques étaient réservés à l’élite blanche. Véritable sport autochtone, le road tennis traduit la résilience, la créativité et l’esprit communautaire des Bajans*. Au départ considérée comme «le tennis du pauvre », cette activité populaire accessible à tous s’est progressivement imposée comme une véritable discipline sportive faisant l’objet de championnats nationaux et suscitant l’engouement populaire.
C’est d’ailleurs la foule bigarrée massée au bord de la route à Dover Beach (plage touristique du Sud de la Barbade) qui m’a attirée vers le tournoi de l’Open Road Tennis la semaine dernière : un terrain tracé sur une petite place, de puissants projecteurs alimentés par un petit générateur d’électricité, un arbitre perché sur sa chaise haute, quelques rangées de chaises pour les spectateurs, les autres debout tout autour du terrain pour mieux voir. Sur le court, le jeu va très vite, au ras du sol, forçant les joueurs à rebondir en permanence sur leurs genoux pliés. L’ambiance est au rendez-vous : adultes, enfants, chips, glaces, boissons, applaudissements, clameurs d’encouragement ou de déception.. c’est la fête. Plus qu’un sport familial, le road tennis est une partie vibrante de l’identité nationale des « Bajans » et même du patrimoine culturel de la Barbade.
Ces dernières années, la pratique du Road tennis s’est renforcée avec la multiplication des terrains dans les communautés ou sur la plage, grâce à une décision du gouvernement visant un double objectif : encourager l’activité physique et attirer l’attention des touristes et des médias étrangers pour exporter ce sport national. En effet, à l’heure où le pickleball américain apparu dans les années 60, connaît un essor fulgurant, pourquoi le laisser s’imposer comme sport international aux dépens de son ancêtre Bajan ?
*Bajan (pr. bay-djun): Adjectif ou substantif dérivé de « Barbadian » désignant l'appartenance à la Barbade
Jihane Sfeir
Août 2024